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alain de benoist - Page 96

  • Sous les pavés, Paris plages !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à cette gauche libérale libertaire confortablement installée au cœur du système...

     

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    Les gauchistes voulaient la plage sous les pavés : ils ont eu Paris Plages !

    Nouvelle antienne de la droite de la droite, que de dénoncer la gauche de la gauche. Mais aujourd’hui, que représente exactement le « gauchisme » ?

    Pas grand-chose. Ce qu’on appelle de façon sommaire les organisations « gauchistes » (situées à la gauche du PC) ont connu leur heure de gloire à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Dès 1974, les obsèques de Pierre Overney, militant maoïste tué aux portes des usines Renault de Boulogne-Billancourt, avaient marqué la fin d’une époque. Certaines de ces organisations étaient bien structurées, beaucoup s’inscrivaient dans une filiation remontant à l’entre-deux-guerres. Il n’en reste presque plus rien. Le maoïsme a disparu, à la possible exception d’Alain Badiou. Les sectes trotskistes parlent de moins en moins de Trotski, et bien des anarchistes se sont coupés de ce qu’il y avait de meilleur dans la tradition libertaire. En marge de ces marges, il y a aujourd’hui des petits groupes d’« antifas », des jeunes gens qui se trompent d’époque (ils n’ont toujours pas compris que nous sommes sortis des années 30) et qui ont recours à la violence pour dissimuler leur absence d’audience dans l’opinion. Ils se font objectivement les chiens de garde de l’ordre en place, c’est-à-dire du désordre établi, voire la police supplétive du ministère de l’Intérieur. Dimension historique de leurs psychodrames : néant.

    Ce qui existe toujours, ce sont des « anciens » de ceci ou de cela : anciens trotskistes, anciens maos, etc. Mais, comme tous les anciens, ils ont pour la plupart fait la part des choses. Il y a aussi des réseaux confortés par le parisianisme ou entretenus par des souvenirs de passé commun, ce qui explique certains parcours individuels. Quelques-uns de ces « anciens » se retrouvent aujourd’hui chez les Verts, mais la grande majorité s’est ralliée au système, comme l’avait bien vu le regretté Guy Hocquenghem (Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary). Le grand symbole est Libération, qui commença sous les auspices de la Gauche prolétarienne à l’époque de Jean-Paul Sartre pour finir aux mains des banques sous François Hollande.

    Qu’il s’agisse de dénoncer la conception permissive de la justice de Christiane Taubira ou de déplorer l’effondrement de l’école, c’est également devenu une habitude, de s’en prendre aux « soixante-huitards attardés ». Une explication convaincante ?

    Les « soixante-huitards » (« attardés », bien sûr) représentent à droite une sorte de mythe répulsif. Une formule toute faite qui ne veut pas dire grand-chose. Ceux qui l’emploient ont rarement vécu Mai 68, dont ils n’ont qu’une image très superficielle. Ils ont en général oublié que Mai 68, ce fut aussi la dernière grande grève générale de l’histoire de France, un spectacle qui aurait ravi Georges Sorel. Ils ne voient pas, surtout, qu’au-delà des étiquettes du moment et des proclamations inspirées par une rhétorique « révolutionnaire », deux tendances totalement opposées se sont exprimées durant ce mois de mai. Il y avait d’un côté une critique argumentée, parfois inspirée du situationnisme, de la société de consommation et du spectacle, du primat des valeurs marchandes, critique avec laquelle je n’ai pour ma part aucun mal à sympathiser. Et de l’autre, une tendance hédoniste, permissive, qui s’illustrait par des slogans tels que « Jouir sans entraves », « Sous les pavés, la plage ! », etc. C’est cette seconde tendance qui a fourni les plus gros bataillons de « repentis », car ses représentants ont vite réalisé que ce n’était pas la « révolution », mais au contraire le capitalisme libéral qui allait le mieux leur permettre de réaliser leurs aspirations. Ils voulaient découvrir la plage sous les pavés. Ils ont eu « Paris Plages » !

    Si l’idéologie dominante n’est pas fondamentalement « gauchiste » ou « soixante-huitarde », elle est quoi ?

    Depuis l’effondrement des « grands récits » dont parlait Jean-François Lyotard, l’idéologie dominante est un mélange de libéralisme économique et de libéralisme sociétal, légitimé par la thématique des droits subjectifs. Autrement dit, la société de marché et les droits de l’homme comme nouvelle religion civile de notre temps. Adossé à l’utilitarisme et à l’axiomatique de l’intérêt, le type anthropologique que promeut cette idéologie est celui de l’individu narcissique, qui cherche en permanence à maximiser son meilleur intérêt et à obtenir une traduction institutionnelle de ses désirs.

    Cette idéologie recouvre la quasi-totalité du champ politique. Au cours des trente dernières années, la droite a abandonné la nation et la gauche a fait de même du peuple, l’une et l’autre se retrouvant pour diaboliser tout grand projet collectif susceptible de s’opposer au libéralisme mondialisé. La conséquence en est la quasi-disparition de la pensée critique. Le message que distillent implicitement tous les médias est que les régimes sociaux actuels constituent la forme définitive de l’évolution politique de l’humanité, que « l’État de droit » représente « l’horizon indépassable » de la démocratie, que les « inégalités ontologiques » (le « sexisme », le « racisme ») sont beaucoup plus importantes que les inégalités sociales, qu’il faut avant tout lutter contre les « archaïsmes » et les « discriminations », et que le modèle du marché est le paradigme de tous les faits sociaux. L’intériorisation de cette idée par des citoyens ainsi conviés à n’envisager l’avenir que sous l’horizon de la fatalité aggrave évidemment leur désespérance. Si toute tentative de sortir du système en place est condamnée par avance (comme utopique, antidémocratique, voire totalitaire), quel autre choix peut-on avoir que de subir et de se résigner ? Faute d’alternative, on ne voit donc se succéder que des alternances. Or, une alternance est tout autre chose qu’une alternative. Mais l’histoire reste ouverte !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 22 février 2014)

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  • La Renaissance, mythe et réalités...

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    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 71, mars - avril 2014).

    Le dossier central est consacré à la Renaissance. On peut y lire, notamment,  des articles de Philippe Conrad ("Moyen Age et Renaissance" ; "Léonard de Vinci. Le vieil homme et la guerre"), de Jean Kappel ("Machiavel, aux origines de la science politique"), d'Armand Giraud ("Les condottieres : des guerriers au service des marchands"), de Jean-Joël Brégeon ("La renaissance des Toscans"), de Madeleine Lastours ("Un nouveau regard sur les « humanistes »") de Martin Benoist ("Quand la Rome des papes redécouvrait l'Antiquité"), de Constance de Roscouré ("La Renaissance, une aventure européenne"), de Jean-François Gautier ("La naissance de la polyphonie européenne").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, deux entretiens, l'un avec Alain de Benoist ("Le nouvel ordre moral") et l'autre avec Thierry Lentz ("De la défaite aux adieux de Fontainebleau") ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Dioclétien, une tentative de restauration de l'Empire"), de Jean-Joël Brégeon ("1814 : la chute de l'Empire français"), de Max Schiavon ("L'Autriche de François-Joseph"), d'Olivier Dard ("Il y a 80 ans : le 6 février 1934") et de Virginie Tanlay ("Le génocide du Rwanda 1994-2014").

     

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  • "Contre l'idéologie du même" : rencontre avec Alain de Benoist...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist aux Non-alignés, le 27 janvier 2014.

    Le son, faible pendant les trois premières minutes de la vidéo, est corrigé par un sous-titrage.

     

    Au sommaire :

    - état des lieux politique. Colère et contestation : "manif pour tous", "jour de colère", "bonnets rouges".
     
    -  complot ou "mégamachine" sans pilotes ?
     
    -  face au modèle dominant : rupture ou réorientation progressive ?
     
    -  "l'Europe se fera au bord du tombeau" : état des lieux et possibilité d'une nouvelle Europe. 
     
    -  illusion d'une fin de l'histoire, un monde en transition. Imprévisibilité de la situation en cours.
     
    -  recours au spirituel ? Quel spirituel : personnel ou collectif ? Nécessité anthropologique d'adhésion à quelque chose qui dépasse l'homme.
     
    - Paganisme et Christianisme ? Le thème de l'égalité des âmes devant Dieu et sa sécularisation successive. Religion de l'antiquité vs Christianisme ? 
    La modernité : "des idées chrétiennes devenues folles". 
    Des îlots de Christianisme traditionnel contre le monde moderne ?  
     
    - L'arrivée du Christianisme en Europe et le conflit / fusion avec les paganismes vernaculaires. 
     
    - nécessité d'un idéal de vie et de sa transmission pour les individus et les peuples.
     
    - Dissociété ou période de transition ? Difficulté de recréer du lien et de la philia pour des groupes humains alternatifs à la marche actuelle des choses. Vers un nouveau nomos de la terre. Guetter le moment historique, saisir le kaïros.  
     
    - "Je suis un intellectuel engagé". Etre attentif à ce qui vient.
     
    - La différence et la diversité contre l'idéologie du même et l'unification marchande du monde.
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  • La dignité humaine : une notion fourre-tout ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la notion de dignité humaine, utilisée dans le débat publique pour justifier aussi bien l'interdiction des spectacle de Dieudonné que l'autorisation de l'euthanasie...

     

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    La dignité humaine : une notion fourre-tout

    Manuel Valls a obtenu du Conseil d’État qu’il interdise un spectacle de Dieudonné au motif que celui-ci portait atteinte à la « dignité humaine ». On évoque aussi la dignité humaine à propos de l’euthanasie. L’expression n’est certes pas nouvelle, mais que vous inspire son emploi tous azimuts ?

    La « dignité » fait partie de ces mots dont le sens a complètement évolué au fil des siècles. Chez les Romains, la dignitas est une vertu au même titre que la gravitas ou la pietas. Tous ne la possèdent pas également, car elle s’apparente au mérite. Il y a ceux qui en font preuve, face aux épreuves et aux revers de la vie par exemple, et ceux qui en sont incapables. Chez Montesquieu, la dignité dénote encore la distinction et, en ce sens, elle s’oppose à l’égalité. Mais aujourd’hui, la « dignité » a une tout autre signification. Conformément à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 (« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité en en droits »), elle est perçue comme un attribut de l’individu à seule raison de son appartenance à l’espèce humaine, une qualité morale inaliénable liée à son essence qui, à ce titre, exigerait un respect inconditionnel. Tout homme est réputé être détenteur d’une « dignité » intrinsèque inhérente à sa personne, que cette personne s’appelle Staline, Hitler ou Mère Teresa. On ne saurait plus être ontologiquement indigne, la dignité n’étant pas susceptible d’un plus ou d’un moins.

    Il y a donc des façons très différentes de comprendre le concept formel de « dignité humaine ». On le voit bien dans les débats sur la bioéthique, la même expression pouvant être alléguée pour défendre l’euthanasie active (le « droit de mourir dans la dignité ») ou au contraire pour la condamner (« l’égale dignité de toute vie »). En proclamant en 1991 que « la dignité de l’homme tient à son humanité même », le Comité consultatif national d’éthique n’a strictement rien éclairé. Il est tout aussi difficile de faire de la « dignité humaine » un élément constitutif de l’ordre public, à la façon d’un Manuel Valls voulant interdire un spectacle avant même qu’il ait eu lieu, c’est-à-dire pour restaurer la censure préalable. Plusieurs juristes n’ont pas manqué de le souligner. Tel est le cas d’Anne-Marie le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes I, qui n’hésite pas à parler de « notion fourre-tout ». « Ériger cette notion philosophique et morale, éminemment subjective et relative, en norme juridique, écrit-elle, est une folie […] aboutissant à un arsenal répressif menaçant notamment la liberté d’expression. »

    Avant la fin de vie, il y a la vie tout court. La marchandisation des personnes n’est-elle pas une autre forme d’atteinte à la dignité humaine ?

    C’est l’évidence. Les moralistes ont d’ailleurs de tout temps opposé ce qui a un prix à ce qui a une dignité. « Ce qui a un prix, écrit Kant, peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. » Disons que ce qui fait la valeur des individus, c’est qu’ils ne sont pas substituables : de ce point de vue, aucun n’en vaut un autre. Dès l’instant où l’existence humaine est réduite au domaine du calculable, de l’évaluation comptable, dès l’instant où, au lieu de reconnaître que l’homme est une « totalité de sens », comme le disait Hegel, on considère que ce qui n’a pas de sens économique n’en a aucun, on porte atteinte à la dignité humaine. Mais c’est précisément ce que fait le système de l’argent, dont le présupposé implicite est que l’on n’est que ce que l’on a. Soit l’on donne la priorité à l’être, soit on la donne à l’avoir. Nous sommes aujourd’hui dans la civilisation de l’avoir.

    Pour le dire autrement, nous sommes passés d’une époque où l’on était riche parce que l’on était puissant à une époque où l’on est puissant parce que l’on est riche. Comme le disait Jacques Séguéla, « si t’as pas de Rolex à cinquante ans, c’est que t’as raté ta vie ». Les États, quant à eux, vivent désormais dans la dépendance des marchés financiers et des agences de notation. Ne nous étonnons pas que la plupart des démocraties soient devenues de simples oligarchies financières.

    Pareillement, il paraît de plus en plus difficile à de plus en plus de gens de vivre dignement de leur travail. Encore une autre atteinte à cette même dignité humaine ?

    Quand on parle de dignité, il est de coutume de citer la maxime kantienne selon laquelle il faut toujours traiter autrui comme une fin et non comme un moyen (Critique de la raison pratique). Dans les faits, c’est évidemment la pratique inverse qui prévaut. De même que le droit au travail n’a jamais fourni un emploi, la « dignité » qu’on attribue à chacun n’a jamais empêché le capital d’exploiter le travail vivant. De même, si la « réussite » sociale est ce qui s’exprime d’abord en termes monétaires, alors il n’est pas immoral de recourir à tous les moyens pour s’enrichir. Les milliardaires du CAC 40 le savent depuis longtemps.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2014)

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  • Comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question du Grand marché transatlantique (GMT)...

     

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    GMT : comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Alors que François Hollande vient tout juste d’annoncer, depuis les États-Unis, une accélération des négociations concernant le Grand marché transatlantique (GMT), Alain de Benoist revient pour Boulevard Voltaire sur les conséquences dramatiques d’un tel Traité…

    Le GMT, gigantesque zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, est le grand projet du moment. Mais les médias n’en parlent que fort peu. Pourquoi ?

    Parce que l’opinion est tenue à l’écart, et que les négociations se déroulent à huis-clos. C’est pourtant une affaire énorme. Il s’agit en effet de mettre en place, en procédant à une déréglementation généralisée, une immense zone de libre-échange, correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs, à la moitié du PIB mondial et à 40 % des échanges mondiaux. Le projet porte le nom de « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements ». S’ajoutant au « Partenariat transpacifique » également lancé en 2011 par les États-Unis, il vise à créer la plus grande zone de libre-échange du monde grâce à une vaste union économique et commerciale préludant à une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents.

    En créant une sorte d’OTAN économique, l’objectif des Américains est d’enlever aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. Parallèlement, ils veulent contenir la montée en puissance de la Chine, aujourd’hui devenue la première puissance exportatrice mondiale. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Elle permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble « océanique » la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.

    Ces négociations se font à haut niveau, sans que les gouvernements concernés aient leur mot à dire. Nouvelle défaite du personnel politique ?

    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Le projet de grand marché transatlantique a discrètement mûri pendant plus de vingt ans dans les coulisses du pouvoir, tant à Washington qu’à Bruxelles. Les premières négociations officielles se sont ouvertes le 8 juillet 2013. Les deuxième et troisième rounds de discussion ont eu lieu en novembre et décembre derniers. Une nouvelle réunion est prévue à Bruxelles en mars prochain. Les partenaires espèrent parvenir à un accord d’ici 2015. Les gouvernements européens ne sont pas partie prenante aux discussions, qui sont exclusivement menées par les institutions européennes. Les multinationales y sont en revanche étroitement associées.

    Sachant qu’à l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de biens et de services s’échangent déjà tous les jours entre l’Europe et les États-Unis, la suppression des derniers droits de douane va-t-elle vraiment changer quelque chose ?

    La suppression des droits de douane n’aura pas d’effets macro-économiques sérieux, sauf dans le domaine du textile et le secteur agricole. Beaucoup plus importante est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des règles que les négociateurs veulent faire disparaître parce qu’elles constituent autant « d’entraves à la liberté du commerce » : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. L’objectif étant de s’aligner sur le « plus haut niveau de libéralisation existant », « l’harmonisation » se fera par l’alignement des normes européennes sur les normes américaines.

    Dans le domaine agricole, par exemple, la suppression des BNT devrait entraîner l’arrivée massive sur le marché européen des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, volailles lavées à la chlorine, OGM (organismes génétiquement modifiés), animaux nourris avec des farines animales, produits comportant des pesticides dont l’utilisation est aujourd’hui interdite, additifs toxiques, etc. En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause. Les marchés publics seront ouverts « à tous les niveaux », etc.

    Il y a plus grave encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’« arbitrage des différends » entre États et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de « protection des investissements » doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les États ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité, et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 février 2013)

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  • Alain de Benoist contre la théorie du genre...

    Nous reproduisons ci-dessous un court entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le blog de la revue Éléments et consacré à la théorie du genre. Alain de Benoist, qui a consacré une large partie de son dernier essai, Les démons du Bien (Pierre-Guillaume de Roux, 2013) à cette idéologie, doit y revenir prochainement dans Non à la théorie du genre ! , un court ouvrage polémique qui sera publié aux éditions Mordicus.

     

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    Alain de Benoist : «Non à la théorie du genre !»

    Si l’on en croit les journalistes Samuel Laurent et Jonathan Parienté, du « Monde », la « première escroquerie des anti-“gender” » est qu’ils « postulent qu’il existe une idéologie du “gender” ». Connaissant sans doute mieux la question, Sylvain Bourmeau, le directeur de « Libération », est déjà moins catégorique. Certes, lui aussi dit que la « théorie du genre » n’existe pas, mais qu’elle est un « précieux concept de genre que la gauche gagnerait à revendiquer haut et fort ». Concept, idéologie, théorie, comment appeler ce drôle de « genre » ?

    Il est parfaitement ridicule de nier l’existence d’une théorie ou idéologie du genre à laquelle des dizaines d’ouvrages ont déjà été consacrés, alors même qu’on s’emploie à en promouvoir les principes. Les journalistes dont vous parlez font marche arrière, car ils découvrent l’ampleur des protestations suscitées par la théorie du genre. Ces gens-là se moquent du monde. Vincent Peillon, lui aussi, affirme maintenant que la théorie du genre n’est pas enseignée à l’« école de la République ». Mais en même temps, il adresse aux directeurs d’établissements scolaires des « outils pédagogiques » lié à un dispositif dit « ABCD de l’égalité », qui se propose de « déconstruire » dès le plus jeune âge des « stéréotypes » qui ne peuvent être considérés comme tels qu’à la condition d’adhérer à la théorie du genre. L’un de ces « outils », par exemple, explique doctement, à propos de la « danse scolaire du Petit Chaperon rouge » (sic) que les filles devront être incitées à jouer le loup, tandis que le rôle du Petit Chaperon rouge sera attribué aux garçons, « la lutte contre les stéréotypes passant d’abord par la mixité des rôles loup-Chaperon ». Ces mots sont révélateurs. Avec l’ambition affichée de « mixer les rôles », il ne s’agit plus du tout de lutter contre les discriminations… 

    La théorie du genre se révèle par là pour ce qu’elle est : une héritière de ce féminisme égalitaire qui, bien loin de s’employer à réhabiliter ou promouvoir le féminin, proclame qu’il ne peut y avoir d’égalité entre les hommes et les femmes qu’à la condition de faire disparaître tout ce qui permet de les distinguer. Une telle ambition relève clairement de ce que j’ai appelé l’idéologie du Même – une idéologie allergique aux différences, pour laquelle l’égalité est synonyme de mêmeté, une idéologie qui milite en faveur de l’indistinction généralisée.

    Il existe une critique chrétienne de l’« idéologie du genre ». Elle s’est déployée d’ailleurs avec beaucoup de vigueur et de force pendant la « Manif pour tous ». On s’en doute, votre approche est différente, puisque vous avez écrit : « L’idéologie du genre, c’est le grand retour du cache-sexe. L’idéologie feuille de vigne : non plus “cachez ce sexe que je ne saurais voir”, mais “cachez ce sexe qui n’a rien à nous dire” ». En quoi votre critique est-elle différente ?

    Dans les milieux catholiques, l’idéologie du genre est surtout interprétée comme une théorie visant à légitimer l’homosexualité (dans laquelle le Vatican voit une « conduite sexuelle désordonnée »). C’est à mon sens voir les choses par le petit bout de la lorgnette. La théorie du genre va beaucoup plus loin. En affirmant que l’identité sexuelle n’a aucun rapport avec le sexe, mais se ramène à une « construction sociale » qui ne se fonde sur rien d’autre que le désir individuel ou l’influence du milieu, elle se dévoile en réalité comme une idéologie anti-sexe, liée à un simple fantasme d’auto-engendrement. On se garde de le dire chez les chrétiens, car au cours de son histoire le christianisme a lui-même entretenu des rapports pour le moins ambigus avec la notion de sexe.

    Peut-on « fabriquer » une fille en élevant un enfant « neutre » comme une fille, ou un garçon en l’élevant comme un garçon ? L’être humain est-il « neutre » en matière de sexe ?

    Les philosophes des Lumières considéraient l’individu comme une table rase à la naissance, une cire vierge. Le postulat de « neutralité » en matière de « genre » que soutient la théorie du même nom se situe dans le prolongement de cette croyance. Ce n’est bien entendu qu’un mythe, contredit par toutes les études empiriques dont on dispose. Celles-ci nous montrent que, dès la naissance, les comportements des garçons et des filles, leurs prédispositions, leurs affinités, etc. sont différents, et que ces différences se retrouveront plus tard dans tous les domaines de la vie. Les travaux réalisés sur les primates montrent de leur côté qu’on retrouve chez les grands singes des différences analogues : les petites guénons préfèrent jouer avec des poupées, les petits mâles avec des bâtons ou des ballons – ce qui ne peut évidemment s’expliquer chez eux par une « attente sociale » ou culturelle. Non seulement, il n’y a pas de « neutralité » sexuelle chez l’être humain, mais le sexe n’est pas qu’une affaire d’organes génitaux. Même le fonctionnement du cerveau diffère chez les hommes et chez les femmes ! Ce qui n’enlève bien entendu rien à l’égale valeur du féminin et du masculin.

    Alain de Benoist (Blog Éléments, 3 février 2014)
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